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16 novembre 2014

Bassirou, candidat perpétuel au séjour

Bassirou, natif de Niono au nord du Mali, avait déjà compris deux ou trois choses utiles en arrivant en France avec son visa de tourisme: qu'il voulait vivre en France mais que la France ne voulait pas de lui, qu'il serait aidé par ses devanciers à condition qu'il ne s'éternise pas, enfin qu'il devrait être patient, malin et combatif.

Bassirou avait ces qualités en abondance. Sa famille le savait et avait misé sur lui un petit pécule, plaçant ainsi sur ses épaules un poids dont il allait vite se rendre compte (cf. chronique Dialogue Nord-Sud).

Il avait étudié attentivement les procédures administratives tant auprès de la préfecture que des universités. Le savoir pour tous mais les papiers pour personne. Il allait profiter de cette ambiguïté.

A l'été 2013, tout en introduisant sa première demande de carte de séjour, il avait postulé dans pas moins d'une demi-douzaine de facs de la région parisienne, en prenant bien soin de mettre à contribution plusieurs académies et départements. Bassirou avait aussi compris que les administrations avaient du mal à communiquer entre elles par volonté jalouse d'indépendance, rivalité ou en raison d'une incurie informatique persistante.

La visite médicale à l'Office Français de l'Immigration s'était bien passée, première étape vers le sésame. Ce grand gaillard de Bassirou respirait la santé et toute l'énergie du continent. C'était ensuite que ça s'était compliqué. Ses papiers d'hébergement n'étaient pas conformes. Son hébergeur, le cousin Macalou, n'était pas lui-même en règle et la copie d'une carte de séjour périmée n'avait
manifestement trompé personne.
La demande avait donc été rejetée une première fois et aussitôt réintroduite par notre ami avec l'adresse du foyer des Églantines à Aubervilliers. Au même moment, éclaircie dans la nuit, la faculté de Paris XIX, avide de subventions et donc à la recherche frénétique d'étudiants pas trop regardant sur le cursus, l'avait admis pour octobre.

Or, l'argent vint à manquer dès la mi-août. Bassirou se mit alors en quête d'un petit job. Travailler au black n'était pas un souci pour lui qui avait vu la moitié de son pays faire comme cela. La couleur du travail comme celle de la peau, quelle importance quand on n'a pas le choix ? Cela tombait bien pour son employeur, peu scrupuleux sur les acquis sociaux.

Bassirou se retrouva ainsi à la plonge d'un restaurant sénégalais du 20e, les Délices de la Teranga. Ce n'était pas un plongeur de grande profondeur, puisque la cuisine n'était qu'au sous-sol. Depuis le soupirail, il pouvait apercevoir les fines chevilles des parisiennes martelant le macadam. La tête dans l'évier, il se consolait en se disant que beaucoup d'étudiants français impécunieux en étaient aussi réduits à bricoler.

Dans sa poche, toujours avec lui, la copie du 4e dépôt de demande de carte de séjour et la lettre de Paris XIX pour un DEUG de sociologie. Cela pourrait servir s'il devenait vigile un jour !

Le temps passa, et quoique toujours immigrant illégal, Bassirou se résignait. Certes, il évitait les endroits fréquentés, même la mosquée, ce qu'il n'aurait pas pu faire s'il était resté à Niono. Il tressaillait à la moindre patrouille de police. Il songeait au jour où l'absence de visa étudiant et l'absence aux cours seraient rapprochées par un petit fonctionnaire zélé.

La Préfecture du 9-3, échaudée par les rappels à l'ordre incessants du ministère sur son laxisme, en rajoutait et exigeait des conditions de vie et de logement que Bassirou et ses congénères ne pouvaient manifestement pas remplir. Étudier devenait aussi difficile que travailler. Bassirou en était à sa nième demande et les files s'allongeaient à Bobigny.

Il avait dans son malheur, la chance d'être payé régulièrement et survivait en partageant un peu avec son village qui patientait. Sa bonne humeur et sa détermination n'avaient pas échappé à son 'geôlier' qui l'avait remis en selle ou plutôt en salle où sa faconde faisait merveille. Le soir, après le service, il se replongeait, si on peut dire, dans les quelques bouquins de sociologie que l'imam éclairé du foyer lui avait prêtés et qui devaient lui servir autant à comprendre les clients du restaurant qu'à passer l'examen universitaire, Inc'h Allah.

Le danger ou plutôt le coup de pouce du destin survint en fait là où il ne l'attendait pas. Son employeur avait été dénoncé par un copropriétaire réactionnaire et allergique au fumet du thieboudiène, la spécialité de la Teranga. Lorsque la police débarqua, Bassirou crut d'abord que c'était pour lui. La pâleur se voit assez peu chez les maliens et il n'avait pas d'assiettes dans les mains. Il put ainsi donner le change. De contrevenant, il devint soudain victime et lorsque la presse de l'arrondissement s'empara du sujet, Bassirou faisait déjà figure d'exploité, une vraie petite célébrité locale. C'était à qui lui offrirait un travail, déclaré bien sûr.

Une vieille dame indigne, scandalisée par son histoire, qui avait vécu en Afrique avant l'indépendance, lui proposa une chambre dans son appartement pour une somme dérisoire, en échange d'un peu de conversation et de menus services. La chance tournait pour Bassirou.

On était en mai, les examens approchaient et sa situation n'avait pas été régularisée pour autant. Ses maigres économies fondaient à vue d'oeil.

Il passa l'examen vaille que vaille, obtint la moyenne et décida, fort de ce premier succès...d'abandonner ses études, en sachant assez sur les hommes. Une rareté dans une filière où les étudiants étrangers atteignaient assez fréquemment l'âge de 35 ans.

Un bienfait n'arrivant jamais seul, un marchand franco-malien de la rue d'Avron, au courant de son infortune, avait besoin qu'on lui tienne son magasin de bric à brac pendant qu'il s'absentait. Bassirou était l'homme de la situation.

Avec un boulot officiel, il pensait que la carte de séjour allait n'être qu'une ...formalité. Il réintroduisit une nouvelle fois sa demande, cette fois-ci pour un titre de travail. Chaque réintroduction lui faisait gagner trois à six mois et sa logeuse aurait de toutes façons déjoué, bec et ongles, toute tentative de ré-accompagnement à la frontière de son protégé.

Bassirou à 25 ans pouvait dorénavant penser à son avenir.

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