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17 janvier 2015

Pantaleon Bagayogo - 200ème

Tout étonné que ce blog existe encore après 5 ans. Pour le 200e billet, j'hésite entre un sujet grave, les thèmes ne manquent pas ...ou un sujet léger, ils abondent aussi !

J'opte pour la figure pittoresque de Pantaleon Bagayogo, chef coutumier du village de Selingué dans le cercle de Koulikoro.

Tresses rastas, colliers en pagaille, boubou blanc étincelant, sur son trône en bois avec auvent, il a fière allure même sans sceptre et, parmi ses nombreuses responsabilités, il doit arbitrer les différends de ses administrés. Ce n'est pas un roi, ni même le doyen, son mandat est limité.

Son village compte environ deux cents personnes, soit quinze familles dont dix musulmanes, trois animistes  et une ou deux de confession mal identifiée qui sont rassemblées sous un soleil punitif. Car tout le monde est convié. Mieux que le journal télévisé pour s'informer.

Avant et après que la justice soit rendue, danses, transes et cadences remplissent la place. Pendant les exposés et les attendus, on discerne aussi quelques grondements pour marquer ou non l'approbation.

Deux tabourets inégaux font face au chef, posés sur le quadrilatère ocre, au milieu de l'arène. Une sorte de chambellan appelle les parties et résume les cas.

Pour chauffer le public, une petite affaire vite expédiée de bornage entre deux parcelles de mil. Un panneau de délimitation aurait été déplacé dans la nuit. Déjà que dans les villes, le cadastre prête à contestation, alors dans les campagnes...
Notre Salomon demande qu'on mette la limite à mi-distance des deux prétentions et qu'on prenne une photo. Chaque partie en sera quitte pour donner un sac de mil au chef qui, l'acceptera avec bénévolence, ce qui incitera à se mettre d'accord la prochaine fois.

Le second cas n'en est pas un. Deux jeunes du village demandent la permission de se marier, les familles sont d'accord. Geste de courtoisie traditionnelle mais non obligatoire, accueilli par des rires sonores et des youyous.
Pantaleon, rarement décousu dans son discours, demande que la jeune fille, Ramatoulaye, reste bien, comme le veut la tradition, une semaine cloitrée dans sa famille avant le jour J et que le fiancé, Ibrahim, potier de son état, reste chastement à distance. Personne ne semble s'opposer à l'union. Les aspects financiers ont été scellés autour d'un repas. Le chef sera invité, comme presque tout le village.

Plus grave : une chèvre a été égorgée et le soupçon pèse sur une famille. Parole contre parole. Vieille querelle remontant à la nuit des temps, dans le style Lucky Luke, O'Hara contre O' Timmins ! On en est à la troisième génération. Aucun bénéfice, un pur acte de cruauté car ici, on a le souci du bétail. Mais pas de preuve. Le contentieux s'épaissit. Pantaleon rappelle que les représailles sont interdites et se gratte le menton en suant à grosses gouttes malgré l'éventail. La surveillance nocturne des troupeaux sera renforcée. Impuissance de la justice.

Allant crescendo, une fausse couche de la première épouse Awa et revoilà le mauvais oeil au sein d'une même famille, les Diagne. En cas de condamnation, la femme visée, en l'occurence la troisième épouse, Aïcha, devra quitter le village pour aller mendier à la ville si personne ne la recueille. La 'victime' ne veut plus faire toit commun ou que 'l'accusée' prépare les repas.

Souvent, notre Saint-Louis n'attribue pas de blâme mais préconise des solutions pratiques : conseils, petits travaux d'intérêt général, semi liberté, éloignement temporaire, amendes...Tout est prévu, y compris un confinement du fautif dans une case inoccupée un peu à l'écart, pour que retombe la tension. Les faits graves sont renvoyés à la ville.

Enfin, l'inévitable affaire d'adultère ou de moeurs, souvent un simple soupçon. Régulièrement, les célibataires hommes du village sont accusés de venir 'se fournir' dans le vivier des épouses parfois esseulées. Demba aurait été vu en posture compromettante avec Fatou. Par pudeur, nous ne nommerons pas les familles concernées. On les reconnaitra toutefois à leurs visages crispés tandis que les autres rigolent en loucedé. L'interdit est encore plus fort vis à vis des jeunes filles qui pourraient perdre toute chance de se marier convenablement en cas de condamnation. Pantaleon essaie de garder son sérieux. Il connaît les commérages, les vengeances, il en a été victime; autrefois on le surnommait 'Pantaleon sur les chevilles'. Ce sont des cas difficiles à documenter quand le village n'a ni police, ni électricité. Pour les tests ADN, on devra attendre. Mais attention, on ne plaisante pas avec la morale: en cas de flagrant délit, la bastonnade et l'exil sont appliqués équitablement et sans barguigner pour les deux parties.

L'ordre du jour étant épuisé, Pantaleon Bagayogo se lève, ankylosé, satisfait et donne, sous les vivats, le signal de la danse pour clôturer l'assemblée.

Les conversations seront à coup sûr animées ce soir, autour du plat familial.

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